Archive de l’étiquette Bande Dessinée

2023 : quelle bilan professionnel pour mon année de bande dessinée ?

Dernières heures pour l’année 2023 avant de faire place à 2024. Phrase un peu clichée, mais période propice à prendre le temps de tourner le dos sur les 365 jours écoulés. 2023 a été pour moi une année incroyable. Une année où des graines plantées depuis fort longtemps ont germé pour donner de beaux fruits. Je vous raconte.

L’AFFAIRE VIVÈS A AUSSI ÉTÉ UNE QUESTION PERSONNELLE

Pour être sincère, 2023 avait commencé de manière un peu amère. Par une brouille, autant amicale que professionnelle. Les conséquences de « l’affaire Vivès », l’illustration d’un fossé générationnel. Entre une génération pour qui la liberté est une valeur essentielle et une autre pour qui la responsabilité prime sur tout. Ce sont deux points de vue radicalement antagonistes et qui ont généré des troubles qu’il a fallu traiter avec beaucoup d’empathie. Affaire presque résolue à titre personnel mais qui a tout de même laissé quelques cicatrices.

LA ROUTINE D’UN JOURNALISTE BD, OU PRESQUE…

Yaneck Chareyre journaliste spécialisé Bande Dessinée Zoo le mag Zoo manga
Crédit photo : Guillaume Berthier pour Zoo le mag

Avant d’écrire sur le sujet qui a occupé mon année de manière centrale, j’évoque un ou deux sujets qui ont compté.

De manière moins événementielle, rappeler que je poursuis ma collaboration avec Zoo le mag. Je contribue toujours aux deux magazines ainsi qu’au site web. J’ai aussi défendu la marque lors de l’animation de rencontres aux festivals BD d’Amiens et Blois, ce qui est toujours appréciable.
Autre collaboration, mais pas reconduite celle-ci, j’ai passé le premier semestre 2023 sur les ondes de France Bleu Armorique, en tant que chroniqueur pour l’émission Culture-S. La grille nationale ayant été changé, l’émission n’a malheureusement pas connu de saison deux.

Yaneck Chareyre participation colloque 3RBDNA nouvelle économie de la bande dessinée
Crédit photo : Edmond Tourriol

Grosse nouveauté, ma contribution à un colloque universitaire en novembre dernier. Consacré à la nouvelle économie de la BD, il m’a vu faire une présentation sur le thème du Crowdfunding dans l’édition de Bande Dessinée en France. Autant vous dire que j’ai particulièrement stressé mais que j’ai profité de trois journées passionnantes que j’adorerais vivre à nouveau.

ÉCRIRE UN « VRAI LIVRE » SUR LA BANDE DESSINÉE

Mais vraiment, ce n’était pas le sujet central de mon année. Janvier 2023 était surtout le premier jour de six mois d’une intensité exceptionnelle. En plus de mon emploi temps plein, j’ai du mener l’écriture de 100 ans de Bande Dessinée, livre commandé par les éditions Larousse. Je me suis fixé le plan de bataille de ma vie. Jamais je n’avais travaillé avec autant de rigueur et d’organisation. Jamais je n’avais autant travaillé d’ailleurs. Ce fût l’exercice d’écriture le plus compliqué et le plus épuisant de ma vie. Rien de moins. Un article par jour ouvré, relecture le samedi, repos d’écriture le dimanche. Et cela pendant 24 semaines, sans faiblir. J’ai compris comment et pourquoi certains auteurs de BD ressortaient rincés au moment du rendu de leur album. Mais je n’avais pas le choix, je refusais de rendre en retard ce premier livre en pur texte. Il en allait de ma réputation future.
Juillet m’a vu reprendre pied dans ma maison et auprès de ma famille. Avant cela, même en week-end sur une petite île bretonne, j’étais en train d’écrire… Alors quand j’ai terminé les relectures au mois d’Août, quel sentiment de délivrance !

Mais n’allez pas croire un instant que je regrette quoi que ce soit. J’imaginais ce qui m’attendais. Mais je ne savais pas ce qu’il allait advenir ensuite. Disons que j’avais été prévenu par un collègue que j’avais interrogé au moment où Larousse m’avait sollicité. Un journaliste culture, en France, n’est pas grand-chose. Quand il écrit et publie un livre, il devient quelqu’un : un auteur. Avec ce livre, j’ai écrit autant de signes que je n’avais produit en 2022 pour tous les supports auxquels je contribuais. La production intellectuelle était là. Mais c’était de l’article, du podcast, de la chronique radio… Rien de noble, à priori. Rien d’aussi noble que l’écriture d’un livre.
Ce dernier trimestre a donc vu la sortie de 100 ans de Bande Dessinée et les premières invitations, les sollicitations médias, dans une ampleur que je n’avais pas espérée.

Yaneck Chareyre dédicace 100 ans de Bande Dessinée Larousse à Bulles de Jeux Meaux
Dédicace à Bulles de Jeux Meaux

Mais le plus fort, ce fût sans doute les réactions des gens autour de mois : de mes collègues de travail, de mes collègues journalistes… Je n’ai pas encore mes chiffres de vente, à l’heure où j’écris ces lignes. Mais j’ai vu des collègues, des gens que je connaissais peu, acheter deux ou trois livres, pour se les offrir et les offrir autour d’eux. C’est la force de Larousse.

100 ans de Bande Dessinée va être une expérience de luxe de laquelle je vais devoir vite me détacher. C’est la rencontre avec le « grand public ». J’ai écrit, ils ont produit, un livre qui peut rencontrer les gens qui ne sont pas des connaisseurs émérites. La proposition éditoriale était travaillée en ce sens.  La commercialisation a fait de même. J’ai été vendu à Carrefour et Auchan. J’étais présent dans la librairie du musée de la BD d’Angoulême, mais j’ai pu retrouver mon livre au Carrefour où je fais mes courses. Je pense que je ne suis pas prêt de bénéficier d’un tel dispositif à nouveau. J’ai donc un espoir pas fou du tout, vendre plus de 100 ans de Bande Dessinée, que je n’ai vendu de London Vénus. Et ce ne sera pas dur.

Yaneck Chareyre dédicace 100 ans de Bande Dessinée Larousse au stand Zoo le mag lors de BD Boum Blois 2023

LA DÉCEPTION DE MON ANNÉE 2023 EN TANT QUE SCÉNARISTE BD

Parce que London Vénus n’est déjà plus disponible à la vente. Moins de deux ans après sa sortie, le livre n’est plus disponible en version physique. Je l’ai découvert par hasard grâce à un libraire qui m’invitait en signature, mais j’avais cette information depuis longtemps en fait. Depuis le début d’année, quand mon relevé de droits d’auteurs avait signifié que nous avions vendu un peu plus de 900 exemplaires en 2022, mais que près de 1500 avaient déjà été détruits pour cause de retours. Sur un tirage à 3000, vous vous doutez qu’il ne restait plus grand-chose dans le commerce après ça. Intellectuellement, j’avais connaissance de ce mécanisme de destruction automatique. Mais maintenant je l’ai subi… Gaspillage écologique incroyable. Plutôt que de trier, on détruit. Et ce n’est pas spécifique à la BD, c’est propre au Livre en général et aux éditeurs industriels. C’est le jeu, mais la potion reste un peu amère. London Vénus, c’est du passé. Charge à moi de continuer à écrire l’avenir.

A noter quand même, l’invitation de l’IFPS Guillaume Régnier pour présenter l’album lors de la journée du 8 mars. Un exercice fort sympathique auprès d’un public forcément plus conscient des enjeux posés.

DE NOUVEAUX PROJETS D’ÉCRITURE SCÉNARISTIQUE

Et même côté scénarisation, quelques graines ont été semées.
Même si en premier lieu, j’ai du dire stop à un éditeur qui m’avait « optionné » un scénario, mais qui depuis un an, n’arrivait pas à conclure sa mise en production. Peut-être que nous travaillerons ensemble à l’avenir, peut-être que ce scénario trouvera une vie ailleurs. Ou même qu’il ne sortira jamais. Mais il faut savoir aller de l’avant et passer à autre chose. Si un projet n’est pas viable, il faut se le dire et le clore. On ne peut pas avancer sereinement avec des promesses.

Ceci étant fait, j’ai deux sujets en préparation. Une discussion de co-scénarisation d’une BD historique, avec un universitaire pointu sur son sujet. On va voir si on arrive à lui donner forme, ou bien s’il continue de son côté et moi du mien.
Mais surtout, j’ai été contacté par un dessinateur qui m’a proposé de travailler avec lui un projet jeunesse de sa conception. Ce fût une belle surprise que d’être recontacté après une collaboration qui n’avait pas pu se faire. Bon, un ange gardien veille sur nous (et pas au sens métaphorique) et explique pas mal cette prise de contact, mais j’ai été touché. Et j’espère que nous pourrons faire de son envie initiale un bon projet BD voir même une bonne BD jeunesse. D’ailleurs, une fois ce texte terminé, je pars écrire à ce sujet.

BILAN D’UNE ANNÉE PASSIONNANTE

Il y aura donc un avant et un après 2023, surtout si je cultive bien et récolte tout ce qui est en train de germer ou de pousser. Cet objectif qui est le mien, de prendre place professionnellement dans un art que j’adore et une industrie qui m’intéresse au plus haut point, commence à se structurer.
Il reste beaucoup de travail mais 2024 s’annonce très intéressante, comme l’article sur mes perspectives 2024 vous le montrera dès le 01 janvier…

Yaneck Chareyre Interview Gully pour 100 ans de Bande Dessinée Larousse
Interview avec Gully pour 100 ans de Bande Dessinée

London Vénus : présenter Alison Lapper à l’IFPS du CHGR

Yaneck Chareyre présente London Vénus à l'IFPS du CHGR de Rennes

A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, j’ai accepté l’invitation faites par l’Institut de Formation des Professionnels de Santé (IFPS) du Centre Hospitalier Guillaume Régnier de Rennes de venir présenter London Vénus aux étudiants et étudiantes.

Alison Lapper, une femme inspirante

Le propos de London Vénus, c’est fondamentalement de montrer en quoi la vie d’Alison Lapper peut être inspirante. Mon expérience de travailleur social, de professionnel des métiers du lien, était donc tout à fait pertinente pour une rencontre avec des professionnels et futurs professionnels des métiers du soin.

Pour une journée telle que celle du 8 mars, j’ai donc eu à cœur de rappeler en quoi la société anglaise a pu constituer un frein pour l’épanouissement d’Alison Lapper, en tant que femme en situation de handicap.

Un grand merci à l’équipe de l’IFPS qui m’a fait l’honneur d’inaugurer ce nouveau programme de rencontres et pour la qualité de l’accueil. Un grand merci aux personnes présentes en cette occasion.

Yaneck Chareyre dédicace London Vénux à l'IFPS du CHGR de Rennes
Séance de dédicaces à la fin de la rencontre

L’ACBD présente au festival franco-espagnol de Jaca

En tant que membre du bureau de l’ACBD, j’ai eu l’opportunité d’être invité ce week-end par le Festival Franco-Espagnol de BD de Jaca en Aragon. L’occasion d’une conférence en tant que journaliste et d’une séance de dédicace en tant que scénariste.

Un petit périple

Jaca, non, ce n’est pas Raqqa en Irak. C’est une ville d’Aragon. Très concrètement, une ville au sud de Pau, dans les Pyrénées espagnoles. Une région que je n’avais jamais explorée. J’ai donc été ravi de cette petite séance touristique offerte par l’ACBD. Et oui, les tapas, c’est top.

La rencontre entre l’ACBD et l’ACD Comic

Ce n’est pas pour le tourisme que Fabrice Piault, président de l’ACBD et rédacteur-en-chef de Livre Hebdo et moi-même étions invités en Espagne.
Nous portions le « maillot de l’équipe nationale », nous représentions la critique BD française auprès de notre « petite soeur », l’association ACD Comic qui, comme nous, regroupe théoriciens et journalistes de Bande Dessinée en Espagne.

Nous avons donc disserté en public sur la place de la Critique dans nos deux pays.
Ce fût pour moi l’occasion de découvrir que j’étais capable, 20 ans après la fac, de discuter en espagnol et de mener cette conférence sans l’aide de la traductrice (juste un peu de vocabulaire grâce à Google Trad).

Une séance de signature inattendue

Absolument pas prévu à l’origine, j’ai eu le plaisir de découvrir que la librairie Bachi-Bouzouk de Pau, librairie du festival, avait pris avec elle une pile de London Vénus. Ce fut donc pour moi l’occasion d’une séance de dédicaces internationale improvisée.
Cerise sur le gateau, comme on dit…

Schuiten n’est pas une référence (quand il arrête la bande dessinée)

François Schuiten auteur de Bande Dessinée

François Schuiten au festival de Solliesville- Wikimedia

Ce week-end, les réseaux sociaux de la bande dessinée se sont enflammés comme une pinède corse en plein été. La faute notamment à l’auteur François Schuiten qui, en plein lancement de son Blake et Mortimer, a annoncé la fin de sa carrière de bédéaste. Pourtant, à mon sens, la situation du monument de la bd Schuiten n’est en rien représentative des difficultés des auteurs et autrices de bande dessinée. Voici pourquoi!

L’OBJET DU DELIT SCHUITEN

Qu’a donc dit François Schuiten pour échauffer les esprits ? Il a annoncé à mes confrères d’Actua BD qu’il arrêtait la bande dessinée car il n’avait plus la possibilité de s’investir comme il le souhaitait sur ses albums, au vu du montant des revenus versés par les éditeurs pour cette création.

De fait, il met en avant une réalité : les éditeurs bd proposent aujourd’hui des contrats de moins en moins bien rémunérés. Il n’est pas rare de se voir proposer moins de 10000€ pour une année de travail à temps complet. Faites le calcul vous-même et voyez si vous auriez envie de travailler pour un tel revenu.

Voyant d’année en année leurs conditions de travail baisser en qualité de par les mutations de l’univers économique de la bd, les auteurs et autrices de bande dessinée sont sur les dents sans qu’aucune piste d’amélioration ne se profile.

NON, SCHUITEN N’EST PAS LA NORME!

A la suite de cette déclaration, de nombreux artistes se sont sentis solidaires du co-créateur des Cités obscures et l’ont soutenu. Pourtant il me semble qu’il y a erreur. C’est vrai, il est important que les monstres sacrés, les gros vendeurs, s’affichent aux côtés de leurs collègues moins bien lotis. Mais la demande de Schuiten est une demande de star qui ne correspond qu’aux besoins d’une minorité d’auteurs et autrices au sommet d’une glorieuse carrière.

Schuiten veut être un artiste. Il veut pouvoir passer plusieurs années sur un projet bd et ne se consacrer qu’à celui ci. C’est une démarche noble et éminemment respectable. Mais la bande dessinée est avant tout une industrie. Et sa posture n’est pas concevable dans un tel contexte.

Certains bédéastes, tout autour de la planète, font le choix de s’extraire de cet environnement. Cela s’appelle l’auto-édition. Les artistes redeviennent autonomes, totalement libres de leurs rythmes. Comme peuvent l’être peintres ou plasticiens.

Mais – « spoiler »- à de rares exceptions ça ne paye pas. Ou, pour que cela paye, la posture exige de remplir de nombreuses autres activités professionnelles. En dehors du mécénat, d’un conjoint très bien payé ou un grand oncle d’Amérique, la création artistique chimiquement pure n’existe pas. Elle s’associe toujours à d’autres métiers. Il n’y a donc pas de raisons qu’elle s’incarne dans un système industriel basé sur la nécessité du profit. Et donc, l’attente formulée par Schuiten est hors de propos. Il n’a même sans doute jamais réellement bénéficié de telles conditions. Et il n’y a qu’à suivre sa carrière de scénographe ou d’artiste global, pour vérifier qu’il a sans doute régulièrement bénéficié de gros contrats hors bd nourrissant bien mieux son homme.

LE VÉRITABLE ENJEUX : LA JUSTE RÉMUNÉRATION DE LA CRÉATION EN BANDE DESSINÉE

« L’industrie » de la bande dessinée… La réalité est dure. Sans structure éditoriale il est très compliqué de faire vivre une bande dessinée. Même s’il est devenu beaucoup plus facile de faire imprimer un album, le cœur de la démarche, à savoir donner à lire un propos, reste coûteux et compliqué. À moins de passer par le pur numérique. Mais la France fétichise à raison l’objet livre et la culture de la gratuité du net constitue un autre frein. Gagner sa vie hors de ce système est réservé à une poignée d’individus dont on peut douter qu’ils fassent exemple.

Logo des Etats Généraux de la BD

Il faut donc faire avec ce contexte industriel pour le plus grand nombre des auteurs et autrices de bd. N’escomptez pas trouver ici la solution au problème du système économique de la bd. D’autres plus intelligents que moi s’y cassent les dents avec d’autant plus de motivation qu’ils sont les premiers concernés.

Mais la position de François Schuiten m’incite à revenir à un élément bien plus basique : la juste rémunération du travail des artistes.

La Bande Dessinée est une industrie!

Être justement rémunéré, c’est être payé de manière décente pendant toute la durée de sa production de richesse. Scoop, c’est pour cela qu’on a créé le salaire minimum pour le salariat. Pour que le travailleur puisse subvenir à ses besoins pendant qu’il emploie sa force de travail. Cela ne concerne pas les artistes pourrez-vous me rétorquer. Mais la bd n’est pas un art (ou seulement sur le plan conceptuel), c’est une INDUSTRIE DE L’ART. Une industrie qui vit depuis plusieurs décennies au dessus de ses moyens. Profitant de vides juridiques (l’auteur est supposément un partenaire de l’éditeur, ce qui est une belle foutaise) et d’une incapacité des travailleurs à se structurer autour de leurs intérêts communs, l’industrie de la bd paye à faible coût sa main d’œuvre et matière première, la création. Si les industriels de la bd payaient le juste coût de production des livres, tout s’écroulerait. Moins de livres seraient publiés, moins d’auteurs verraient leurs idées concrétisées sous forme d’album.

Je suis donc en train de demander à ce que le système s’écroule. Paradoxal n’est ce pas ? Pourtant la solution consistant à laisser le système perdurer n’amènera pas un résultat fort différent. Parce que l’industrie de la bd à besoin d’un rythme de sortie régulier. Ce besoin n’est pas compatible avec un emploi principal hors création. Demande-t-on à un cinéaste de filmer sur son temps libre? Si les éditeurs et les lecteurs souhaitent pouvoir lire à l’avenir régulièrement des artistes au dessin exigeant il faut que les artistes puissent se concentrer sur leurs travail. On ne peut pas faire du Marini ou du Delaby en dessinant quatre heures après sa journée de boulot. Ou alors en prenant trois fois plus longtemps. Et donc en sortant moins souvent des albums. Que Guy Delcourt par le passé, ou Yves Schlirfe ce week-end, poussent les auteurs en ce sens, c’est scier la branche qui les portent.

QUEL AVENIR ALORS ?

Malheureusement, la solution passe sans doute par moins d’artistes, mieux payés. Pour la production de leurs planches comme dans la valorisation de leur travail. Peut-être par un statut de salariés en contrats de mission ou en cdd. Oui ce n’est plus être artiste. Mais même les grands anciens assumaient de travailler pour une industrie. Et ils n’étaient pas moins bien traités qu’aujourd’hui.

François Schuiten arrête, mais la plupart des artistes de bande dessinée aujourd’hui, se contenteraient juste d’un revenu correct pour produire un album par an.
Si ce sujet vous intéresse, pour animer une formation ou une conférence, je me tiens à votre disposition.

Making-off : Le critique BD est-il un éditeur raté?

Il est de bon ton de blâmer les critiques et de leur nier toute créativité. Pour cela, il y a la fameuse phrase « le critique est un auteur raté », donc un frustré incapable de réaliser ce qu’il conteste. En écrivant mon article consacré au livre Et pourtant elles dansent, publié cette semaine sur le site 9eme Art.fr, je me suis perçu différemment. L’espace d’une critique, j’ai eu le sentiment de voir le potentiel d’un album, ce qu’il aurait pu être d’autre. Se pose donc une autre question : le critique serait-il un éditeur raté?

 

 

On dit du mal ou on se tait?

Mais avant de parler de cette perception « éditoriale », quelques mots sur l’aspect négatif de la critique en question. N’hésitez pas à passer lire la critique d’abord avant de lire cet article. D’une certaine façon, vous avez ici l’explication de texte.
Doit-on critiquer négativement un album? En sachant que sur 9eme Art, j’ai une critique par semaine, a quoi dois-je consacrer mon temps? A promouvoir un album coup de coeur qui sera en manque de visibilité ou à décrypter les faiblesses d’une Bande Dessinée que peut-être les gens n’iront pas acheter?

Habituellement, j’ai une réponse simple à cette question. Je n’ai pas beaucoup de temps, pas beaucoup d’articles, donc je défends plus que je ne dénonce. Seule exception à cette règle, quand un « grand » auteur installé livre un travail indigne, il me semble important que le lecteur en soit informé. Quand il y a manifestement tromperie sur la marchandise.

Subjectivité ou objectivité?

Mais donc, rien de tout cela avec Et pourtant elles dansent, signé chez un petit éditeur, par un auteur peu connu. Typiquement le genre de livres que je laisse poliment de côté habituellement quand ils ne me plaisent pas.
Mais notez bien que l’article n’est pas en mode « je n’aime pas, bouh c’est caca ». Je ne l’ai pas écrit pour exprimer une subjectivité mais bien pour mettre en avant des faits objectifs.


« Parce que l’objectivité tu y crois? », pourrez-vous me répondre. Et non, je n’y crois pas. Paradoxe?
Je crois en notre subjectivité totale, mais je crois aussi que dans un art, il y a des règles de créations, une grammaire, un vocabulaire, qui permettent d’identifier plus objectivement ce qui est réussi par rapport à ce qui est raté. La Bande Dessinée ne fait pas exception.

A la lecture de Et pourtant elles dansent, j’ai identifié des mécaniques qui ne me semblaient pas fonctionner correctement et qui auraient pu donner un tout autre album, plus efficace me semble-t-il. Mais ce faisant, ne suis-je pas en train de me prendre pour un éditeur?

Et si tu restais à ta place bonhomme?

C’est quoi un bon critique Bande Dessinée? Pour moi, il doit rassembler deux qualités complémentaires : une bonne connaissance de l’art dont il parle tant sur la technique que sur le « background » de cet univers; une réelle capacité à transmettre des émotions par rapport à sa propre lecture.
Ces connaissances peuvent être empiriques, il n’est pas besoin nécessairement d’avoir produit pour comprendre. Et il y a deux types de producteurs sur un album de Bande Dessinée. Il y a les auteurs, mais il y a aussi l’éditeur. Qui, normalement, ne doit pas être inutile dans le processus créatif.

A quoi ça sert un éditeur? Je parle bien sûr de la personne, pas de la structure éditoriale. Un éditeur (ou une éditrice), ça doit pouvoir percevoir le potentiel d’une oeuvre alors qu’elle n’est que projet. A chaque étape du processus créatif, il doit pouvoir guider les auteurs pour leur permettre de réaliser le meilleur travail possible. Quitte à les chambouler, à les sortir de leur zone de confort. Un éditeur n’est pas, me semble-t-il, simplement le servant des auteurs (même s’il est aussi là pour leur faciliter le travail).

Et donc oui, en lisant l’album publié par Des ronds dans l’O, je voyais, au fil des pages, les promesses éditoriales qui m’avaient été faites et qui n’avaient pas été tenues. Se dessinait peu à peu dans ma tête, des propositions techniques qui auraient permis d’apporter plus de souffle, de corriger des défauts intrinsèques à la direction choisie par l’auteur (le reportage bd, pour être clair).
Je connais bien et j’apprécie Marie Moinard, l’éditrice de Des ronds dans l’O, qui se bat pour faire vivre un catalogue au fond extrêmement pertinent. Mais face à ce manque perçu, ressenti, j’ai eu envie d’écrire. Il y avait des questionnements objectifs à proposer au lecteur et pas simplement une critique basique et sentimentale.

 

 

Alors j’y suis allé, j’ai fait mon pseudo-éditeur.  Editeur raté, je ne sais pas, je n’ai jamais essayé de l’être (commençons par devenir auteur, ce qui va très rapidement se produire, maintenant). Mais pour une fois, j’ai eu envie de partager avec le lecteur une compréhension technique. Désolé pour l’auteur, Vincent Djinda, qui se retrouve en sujet d’étude. J’espère au moins ne pas avoir été injuste à son égard. En tous cas, clairement, je n’aurai pas été « sympa ».
Mais est-ce le rôle d’un journaliste-critique?